vide
nous sommes entourés de présences qui comptent peu
nous sommes entourés de présences qui comptent peu
j'ai des morts dont je ne m'ennuie pas, ils ne me manquent pas, je ne pense jamais à eux, ou presque, finalement, ils sont très peu nombreux, ceux de nos proches à qui on peut promettre : sans toi, je ne pourrai plus vivre, en tout cas, pas comme avant, parce qu'il y aura toujours ton absence, douloureuse
écrire rend malade (littéralement), c'est ce qui se produit quand on ramène à la lumière ce qui s’était tapi dans le corps
un philosophe français affirme qu’on n’a pas conscience d’avancer en âge, mais qu’on s’aperçoit un jour qu’on a vieilli, après coup, si vous voulez, c’est peut-être vrai chez un homme qui néglige sa santé, se méfie de son médecin et en ignore les conseils, c’est différent si on entretient un rapport plus féminin, inquiet, avec son corps, il n’est alors pas de perte subite, de surprise
on ne peut pas abolir le temps, mais l’aplatir, oh que oui, le débarrasser de ses aspérités, nous reprenons là où nous avons laissé, je reconnais ce qu'il y a d'immuable en toi
je n’ai pas de regrets, ce que j’ai raté, ou omis, il ne sera jamais trop tard pour le racheter, le compenser, d’une manière ou d’une autre
sur un banc, une jeune fille joue du banjo et chante en anglais, un barbu l’accompagne à la guitare, 2 garçons les écoutent, debout au milieu de l’allée, collés l’un contre l’autre, des enfants pourchassent en riant leur papa qui court à 4 pattes dans l’herbe, un acteur, que tout le monde feint de ne pas reconnaître, promène son chien
un bar laitier fait de la réclame : délicieux mec crémeux, yummy, c’est pornographique, non ? bon, j’apprendrai à l’intérieur qu’il s’agit d’un sandwich à la crème glacée
dans la cour, derrière le snack-bar, avec le cuisinier qui grille une cigarette, on discute de philo, d’action politique, de municipalisme, de la rébellion kurde
chaque fois que tu disparais
même pas d’ombre
soupir de poussière
ce coup-ci ne reviens pas
j’ai déchiré tes lettres
ah, vieillir, toutes les demi-heures, à peu près, interrompre sa lecture, sortir sur la terrasse, regarder au loin, les nuages, reposer l’œil
à la fruiterie, alors que la caissière scanne mes achats, un cycliste entre et lui demande : as-tu de la monnaie pour un 100, et moi d’intervenir : de quel groupe ? encore une blague de qualité…
à la sortie du parc, après avoir écouté un moment le petit ensemble de jazz installé au coin de la rue, le papa s’écrie : oh, que j’aime ma ville, et ma famille aussi, ajoute-t-il en se tournant vers sa blonde et leur fils
murs, plancher, plafond, plomberie, électricité, ils refont tout à neuf, pourquoi avoir acheté une vieille maison, d’abord ?
je ne tiens pas à savoir que tu trouves de la literie à bas prix dans une grande surface près de chez toi, que ta nouvelle recette de trempette, riche en mayo, risque de te faire prendre du poids, qu’un vilain rhume t’a empêchée de rentrer ce matin au travail, que tu regardes en boucle des funny videos, que tu envies tes voisins qui ont passé l’été dans un véhicule récréatif tout équipé, que tu songes à te recycler dans l’aromathérapie
comme il doit être agréable, pour un prof de français, de recevoir d’une étudiante des vœux de bonne anniversaire
quand le présent ne se produit plus, il y a moyen de le provoquer, et si ça ne suffit pas, de l’inventer
au téléphone, un ami me raconte qu’il trie ses souvenirs, il parle des objets, lettres, cadeaux, photos et autres reliques : j’en ai jetés beaucoup, ce que je garde tient maintenant dans une petite boîte, je m’éloigne du passé pour m’ouvrir à ce qui m’attend, encore heureux, il n’a que 20 ans
je n’obéis qu’à ceux que j’aime
j’ai choisi la vie que je mène, je ne suis donc autorisé ni à me plaindre ni à me comparer
avoir peur de mourir
avant la fin du livre
on met des années à trouver un accord honorable avec le réel, qu’on va quitter
la mélancolie, c’est la conscience du fini
ma voisine m’apprend que son chum, avec qui elle élève leurs 2 enfants, est bisexuel, elle prend même la peine de me le répéter, je ne sais trop comment interpréter son insistance
en longeant un chantier, j’entends l’entrepreneur dire à son apprenti : c’est parfait, mon beau garçon, on se parle comme ça, dans l’industrie de la construction ?
ma demi-sœur m’écrit : si notre père avait connu facebook, sa page de profil aurait ressemblé à la tienne, c’est faux, elle s’obstine seulement à le voir survivre en moi
la mort n’a pas de réalité autonome, elle est rattachée à tout
à tenter, par tous les moyens, de ne pas en sentir le poids, je gaspille ma solitude
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© 2021 Mario Cyr