décontractés
il n’a pas 20 ans, sans doute hétéro, très beau, au comptoir du café, nous échangeons des regards tendres et amusés, nous sachant inoffensifs l’un pour l’autre
il n’a pas 20 ans, sans doute hétéro, très beau, au comptoir du café, nous échangeons des regards tendres et amusés, nous sachant inoffensifs l’un pour l’autre
la conscience naît de la douleur, le deuil est un éveil
un enfant et un vieillard peuvent s’occuper un après-midi entier dans un espace restreint, une bande de trottoir, un bout de ruelle, ou de terrain, le premier, pour en faire l’inventaire exhaustif, le second, le ménage minutieux
s’agenouiller, débarrasser amoureusement le rosier de ses parasites, étancher la soif d’ogre de l’hortensia, tailler, désherber, sarcler, satisfaire aux exigences, docile, indifférent et plein, quitter l’heure pour embrasser le temps, disparaître
de ne pas être un auteur connu, j’éprouve une fierté et une douleur égales
hier, elle était une figure de la contre-culture, une voix de la contestation, chantait en joual, sacrait sur scène, aujourd’hui, elle représente un syndicat de copropriétaires excédés du bruit que font le soir les jeunes dans le parc, devant chez eux
mes mots n’offrent aucun refuge, à l'inverse, j’invite le lecteur à me suivre sous les intempéries
il rouspète contre les éditeurs qui le font attendre : ce sont des crétins, obnubilés par les chiffres de vente, incapables d’apprécier à leur juste valeur les textes qu’on leur soumet, des porcs, sauf évidemment celui qui accepte enfin son manuscrit et le publie
il ronchonne maintenant parce que les critiques se font attendre : les journalistes n’y connaissent rien, ils encensent des livres insipides, médiocres, qui favorisent le nivellement par le bas, des laquais, sauf évidemment ceux qui diront enfin du bien de son roman
l’itinérant : un peu de monnaie svp, pour manger
la femme (fouillant dans son sac de provisions) : oh, ça tombe bien, j’ai des bagels
lui : non, j’aime pas ça, il me manque seulement 2 $ pour m’acheter un hot-dog
elle ne répond pas et poursuit son chemin
plaisir démodé, à l’aide d’un coupe-papier, séparer les pages d’un in-quarto cousu main
il y a des soirs où les consolations habituelles, la radio, la marche, la lecture, la branlette, restent inopérantes, on est assis bêtement avec sa solitude, à la regarder dans les yeux
je viens de poster ma demande de rente, prochaine étape : le manger mou
je suis emmerdant, je le comprends auprès de vieux cons qui me ressemblent, et dont le comportement m’exaspère, ai-je encore une chance de m’en sortir ?
chaque jour, je m’adapte à sa perte, l’assimile, son absence me façonne, me révèle en creux, dégage un espace, où je me découvre
au milieu de l’orage, je me rends compte que j’ai laissé grande ouverte la fenêtre de ma chambre, le rideau, le parquet près du lit sont trempés, je m’avance pour la fermer, le contact froid de la pluie et du vent qui la fouette m’inspire une joie toute enfantine, je me surprends à rire, à l’homme prévoyant que je suis, il faut davantage d’incidents de la sorte
au lendemain d’une rupture amoureuse, il y a souvent une volonté de revoir l’autre, pour lui montrer, petit a) qu'on se débrouille à merveille sans lui, petit b) qu’il s’est trompé sur notre compte, qu’on a changé et qu’on pourrait encore le surprendre, c’est une posture d’orgueil, évidemment, qui rejette la fin, témoigne d’un désir de relance, d’une attente, j’ai déjà été beau dans tes yeux, c’est pourquoi j’ai tant de mal, ton regard bienveillant me manque
exprimer, pousser hors de soi, cracher : écrire, c’est se distancer de ses peurs, passions, lubies, obsessions, les neutraliser, s’en départir, ne plus en avoir besoin, aborder un sujet, c’est y mettre le feu, comme on brûle une église
j’observe que, dans mon réseau, ce sont surtout les intervenants d’un certain âge (auteurs, chroniqueurs, intellectuels) qui affirment tapageusement leur existence en multipliant les publications sur ce qu’ils voient, mangent, lisent, pensent ou dénoncent (et je m’inclus), les jeunes (ceux que je connais, du moins) versent plutôt dans l’autodérision, l’humour, la légèreté
dans une vente-débarras, j’aperçois un de mes livres, dédicacé, c’est une facette du métier
dans notre civilisation de l’entrepreneuriat, la caste des marchands admet difficilement qu’une administration publique n’accède pas à ses demandes
paradoxe du vieillissement : l’enveloppe s’amollit, l’intérieur se pétrifie
cette tristesse-là
l’autre nom de la fatigue
y descendre
alors que l’ouest rougeoie
conversation avec un commerçant, je note aussitôt mes impressions : c’est bien le fait d’un esprit obtus de n’entrevoir aucune position intermédiaire entre l’adhésion aveugle aux diktats du capitalisme et le recours à l’aide sociale, comme s’il n’y avait que 2 options, carrière de prédateur ou de parasite
que l’homme soit capable de violence et de mélancolie, certes, mais je ne crois pas pour autant en un instinct d’anéantissement
puis un matin
un lilas vous récompense
de la traversée de l’hiver
ils nous regardent de travers, chuchotent derrière nous, s’interrogent, qu’est-ce que ce petit jeune fabrique avec lui, il pourrait être son père, voire son grand-père, ils s’offusquent, ou ricanent
nous sommes, non pas dans une brasserie western de province, mais au milieu d’étudiants ambitieux de constituer l’avant-garde littéraire
des préjugés dégoûtent davantage quand on les trouve là où on ne devrait pas
c’est ici, tout fier, il désigne la pancarte, logement à louer, elle considère à peine l’immeuble, s’attarde plutôt au cadre : le parc en face, la station bixi, la piste cyclable, son verdict tombe, sans appel : mais y a rien icitte… et ils repartent
les écrivains n’hésitent jamais à monter aux barricades pour dénoncer l’arrivisme et les calculs des politiques, mais pour obtenir une bourse, une résidence, un peu de visibilité, ils deviennent eux-mêmes tout aussi flagorneurs et serviles
il n’a pas laissé de testament, après l’enterrement, la famille m’offre le premier choix, qu’est-ce que je voudrais en héritage ? ni livres ni tableaux, encore moins de son argent, non, ce qui m’intéresse, c’est la crassula, une plante énorme, qu’il cultivait depuis au moins 20 ans, et dont il était très fier, qui le représente, d’une manière
j’en prends le plus grand soin, la place dans des conditions similaires à celles qu’il lui ménageait lui-même, mais elle s’étiole, n’a pas fleuri à la fin de l’automne, et ses feuilles s’amollissent, se ratatinent, des tiges se dessèchent, à l’évidence, elle meurt
je ne parviens pas à le garder vivant
les premières heures, premiers jours d’un deuil, c’est la coupure totale avec l’ordinaire, un ébranlement du réel, c’est courir comme un chien fou, prendre des décisions, choisir, signer des papiers, organiser la manifestation de la douleur, ça a des vertus anesthésiantes
pour la noce, ils ont réquisitionné un micro resto du quartier, qui ne sert que de la bouffe bio, une vingtaine de places, pendant que le chef s’affaire, les invités bavardent sur le pas de la porte, flûte à la main, les jeunes mariés sont arrivés montés sur un tandem, c’est dans le détail qu’on change le monde
la transgression, les débordements, les états seconds ne nous transforment pas, mais nous révèlent, accentuent ce que nous sommes
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© 2019 Mario Cyr