abîme
Mile End. Une vieille édentée nettoie au jet d’eau la cour en asphalte à l’arrière de sa maison, et jusqu’à la clôture, et à la ruelle. Comment lui expliquer ?
Mile End. Une vieille édentée nettoie au jet d’eau la cour en asphalte à l’arrière de sa maison, et jusqu’à la clôture, et à la ruelle. Comment lui expliquer ?
Tous les peuples de la terre sont endettés. Mais alors, qui la possède ?
L'auteur masculin s’investit dans un objet (la machine, la fanfare, l'idée), alors que la femme qui prend la plume fait advenir.
le tricot qu’on sort le soir
l’approche de septembre
les mots qu’on cherche
parce que le désir distrait
semelles de vent usées
murailles défaites
la majesté des vêpres
tu n’amasses que des vestiges
une silhouette au fond du parc
Édifiant d’entendre un écrivain déclarer, au cours d’une même entrevue à la radio, que le mort n’existe pas et que sa prose est ultraréaliste.
Moto. Il conduit d’une seule main, l’autre posée très haut sur sa cuisse. Sexy.
Vélo. Il conduit d’une seule main, l’autre abandonnée derrière lui, entre celles de son petit, installé dans un siège de plastique gris. Cute.
Sur le trottoir, un chien avale avec appétit les crottes séchées d’un congénère, ça ne doit pas être mauvais pour lui, il n’y a que son maître pour s’en émouvoir.
Le corps de la mère est un reproche permanent.
À l’aide d’un vaisseau de plastique, pot de yogourt ou de crème glacée, 750 g, il arrose la boîte à fleurs de son balcon, dans la lumière du matin, c’est seulement lorsqu’il a terminé qu’il se rend compte qu’il est tout nu.
le parc frisonne de grillons, dont le chant emplit l’air noir et lourd, une jeune fille promène son chien en textant, dans la pizzéria, à la fermeture, un homme lave le plancher, une femme l’attend au fond de la salle, assise, ses longues jambes croisées, elle tire sur une vaporette, qu’elle tient très élégamment, comme un fume-cigarette, devant le dépanneur, une famille de touristes français, papa, maman, fillettes et fiston, croise avec inquiétude un fêtard dans un état second, qui déclame et rit tout seul, sans qu’il soit possible de saisir ni son discours ni la source de son hilarité, un couple à vélo scintille de prudence à l’intersection
Le bonheur, chez certains, découle d’une absence de sens critique. Chez d’autres, c’est une lucidité épanouie.
L’anxiété, c’est un plongeon dans la déraison, l'échec du réel, une fuite dans l’aléatoire, qui prend une consistance excessive.
La mort de la mère condamne les filles à s’éteindre et les fils à renaître.
dans un même roman, tout embrasser, d’Ulysse à Batman, de Key West à Florence, de Dante à Joyce, survoler les siècles, les continents, ne creuser nulle part, toujours nomade, jamais de récolte, juste un buzz
Travail bâclé. Saleté qui subsiste après le passage du torchon. Peinture qui dépasse sur les surfaces voisines. Pavés disjoints. Carreaux qu’on ne lave plus. Balai passé symboliquement. Coins ronds. Personne ne va remarquer. Demi-mesures. Projets inachevés. Rêves laissés en plan. Spectacles en continuel chantier. Textes improvisés. Livres inaboutis.
Refus de finir ?
j’apparais peut-être sur de vieilles photos vendues dans des boutiques vintage, dont le stock provient pour l’essentiel de successions, ou d’octogénaires forcés de casser maison, on me voit au milieu de cousins, à un mariage, ou sur la plage, ou dans un party gay, avec l’amant du moment, nous ornons un mur, une étagère, la porte du frigo, dans le logement d’un couple de jeunes que je ne connais pas, il se pourrait que j’y entre un jour, par hasard, et me découvre en riant
Le deuil, comme le plaisir sexuel, est à la fois très intime et universel.
Dans la perfection (d’un geste, d’un moment) est inscrite l’idée que rien ne dure. Il y a du beau parce que ça s’en va.
après des années de viande crue
sans orge ni eau
de la cannelle soudain
l’univers se recompose
paysages acteurs
figurants
personne ne lit le texte
ton léger
on ne s’échappe pas pour autant
toujours bataille de roseaux
mais de la craie au bout des doigts
tu peux bien dire la messe
je me paie un chapeau rouge
La photo est un moyen de prendre des notes.
À l’autre bout du monde, en Gaspésie, il se photographie nu sur la plage, les pieds dans l’eau, dans sa cabine de motel, le sexe raide, devant le miroir, images flottantes, parfois vacillantes, qu’il lance en l’air, sur le web, comme des bouteilles, fragments de son corps, défait, en face, au-delà de la mer, c’est chez lui, La Rochelle, quelque chose d’estompé, dans un snack-bar du Plateau, les ventilos bourdonnent, brassent l’air épais, moiteur aux aisselles, dans le haut des cuisses, les plis intimes, il déchire en languettes un napperon de papier, écrit des phrases inachevées, des résolutions, une adresse, une recette, des questions, les premiers vers d’une chanson, ça finira à la corbeille, au recyclage, son téléphone vibre, quand la musique se tait, on entend les criquets dehors, la nuit se déploie comme une carte, un drap, le contact électrisant de la chair, le poids d’une main, la voix trébuche, et le sel de ton cul.
Son fil Twitter n’est qu’un chapelet de citations (poètes, écrivains). Quel intérêt ?
les philosophes ont inventé l’âme pour nous purifier, pour contrebalancer notre corps, sa trivialité, ses pulsions, les excréments qu’il produit
L’étalement urbain, c’est un contre-développement, la spoliation du territoire, l’expression d’un individualisme obtus, la sacralisation d’un capitalisme arriéré, un obus qu’on se tire dans le pied.
On dit du banlieusard qu’il affectionne la nature. Faux. Il la massacre. Qu’il lui faut beaucoup d’espace, de terrain. Voyons. Il ne s’aventure jamais au-delà de sa terrasse, caché derrière sa maison, entourée de clôtures, de haies, à l’abri des regards.
C’est un égoïste, un grippe-sous, qui ne songe qu’à échapper au vivre-ensemble, s’invente un environnement artificiel, aseptisé, sans itinérants ni graffitis, sans ordures ni violence visible. Une utopie.
Des autistes, on le sait, peuvent enregistrer et reproduire avec une fidélité troublante une quantité phénoménale de sons ou d’images. Et ils y parviennent sans chercher à le faire.
Vous oubliez un nom, vous vous concentrez pour le retrouver, vous examinez une à une des possibilités. Peine perdue. Passez simplement la commande, occupez-vous à autre chose et hop, la mémoire reviendra.
Notre cerveau, comme n’importe quel organe, est conçu pour fonctionner à notre insu. La conscience le gêne, apparemment.
Pensée du jour : le revers qu’on provoque par intransigeance vaut mieux que la réussite obtenue par flagornerie.
Pour enfin connaître le succès.
Achète de la considération, trouve des compromis, fais des salamalecs, voire des bassesses, mets de l’eau dans ton vin, de la simplicité dans ton texte, qu’à la fin, il ne goûte plus rien, range tes principes, entre dans le rang, si tu veux ta part du gâteau, finis d’abord tes légumes.
Un obscur journaliste du web y va d’un long papier sur Nuit claire comme le jour, mon roman gai pour ados. Il déplore que l’ouvrage, osé, explicite, ne puisse être proposé en classe. Euh, non, au contraire, je m’en félicite. C’est une fiction. Pas une trousse pédagogique. Je m’adresse au jeune, parce que sa sexualité n’appartient qu’à lui, je me moque de ses profs, davantage de ses parents, que je suis trop heureux de choquer.
Je n’ai pas cette conception utilitaire de la littérature.
À certains que je déteste, je souhaite qu’ils aient après leur mort un ultime (et improbable) sursaut de conscience, juste le temps de se rendre compte que le paradis auquel ils ont cru et dont ils nous ont rebattu les oreilles n’existe pas. Gnagnagnagna.
thé froid au fond de la tasse
du sable dans les souliers
images à détricoter
formules à dynamiter
au milieu des gravats
trouver un ourson
maintenir la ligne dure
rien dans les poches
que les lapins s’envolent
faire un pas de plus dans la nuit
Un esprit large envisage avec une égale lucidité les 2 termes d’une opposition : reconnaître l’impossibilité du changement et s’y efforcer quand même.
Le papa à son fiston : allez, pédale. Croyant peut-être à une insulte, le petit se laisse tomber de son vélo et fond en larmes.
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© 2021 Mario Cyr